Home AFRIQUE Nigeria : Tinubu, le successeur contesté de Muhammadu Buhari

Nigeria : Tinubu, le successeur contesté de Muhammadu Buhari

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 « Tinubu Bola Ahmed, de l’APC, ayant satisfait aux exigences de la loi, est déclaré vainqueur et élu » président du Nigeria, a annoncé, mercredi 1er mars, le président de la Commission électorale nationale indépendante (INEC), Mahmood Yakubu, devant la presse à Abuja.

Selon la Commission électorale, le candidat du parti au pouvoir au Nigeria, le Congrès des progressistes (APC) a été élu avec 8,8 millions de voix face à ses deux principaux concurrents et a été félicité par le président sortant Muhammadu Buhari.

Atiku Abubakar, le candidat de la principale formation de l’opposition (le PDP, Parti démocratique, populaire qui dirigea le pays de 1999 à 2015), a recueilli, lui, 6,9 millions de voix.

Le plus jeune candidat parmi les favoris, Peter Obi du Parti travailliste (LP), dont la popularité auprès de la jeunesse a donné un nouvel élan à cette campagne, a remporté, pour sa part, 6,1 millions de voix.

« Je savais déjà que le candidat du parti au pouvoir allait gagner. Dans les résultats provisoires, il a remporté toute la région de Kano qui est un poids lourd en termes d’électeurs. Il y a aussi 13 Etats où Tinubu a été en tête. Donc il y a de quoi le parti au pouvoir l’emporte », a déclaré à Anadolu l’analyste nigérien spécialisé en politique africaine, Dr. Garba Moussa.

En dehors de Lagos et Kanu, Tinubu a remporté la plupart des autres États de sa région d’origine, le sud-ouest du Nigeria. Il a également rempli la condition constitutionnelle de recueillir au moins 25 % des suffrages exprimés dans 24 États de la fédération.

Mais le Dr Garba Moussa qui aurait voulu voir un candidat plus jeune à la tête de l’Etat nigérian se demande « à quand le temps de la jeunesse en Afrique ? ».

Selon cet analyste, le plus dur sera la gestion de la période post-électorale jusqu’à ce que Tinubu prenne effectivement les commandes du Nigeria en mai prochain.

« Buhari a anticipé sur les violences qui pourraient survenir après la proclamation des résultats. Comme vous pouvez voir, l’armée a été déjà déployée dans les villes chaudes comme Lagos », note l’expert.

L’opposition rejette les résultats

Toutefois, les partis d’opposition ont rejeté les résultats de la présidentielle, estimant que le scrutin avait été compliqué par des problèmes techniques et appelant le président de la Commission électorale à démissionner.

À la suite de « retards dans le décompte« , et d' »importantes défaillances dans le transfert électronique des résultats« , l’opposition a accusé de fraude le Congrès des progressistes.

« Les résultats annoncés ont été retouchés et manipulés et ne reflètent pas les souhaits formulés par les Nigérians dans les urnes », ont estimé le Parti démocratique populaire (PDP), le Parti travailliste et (LP, Labour party) et de plus petits partis dans un communiqué conjoint mardi.
« Nous avons totalement perdu confiance dans l’ensemble du processus », a déclaré le candidat Atiku, mardi, lors d’une conférence de presse conjointe de l’opposition, exigeant son « annulation immédiate » et la tenue d’un « nouveau scrutin ».
De son côté, l’INEC a fustigé des accusations « infondées et irresponsables » de l’opposition nigériane.

« Lorsqu’ils ne sont pas satisfaits du résultat d’une élection, les candidats sont libres de s’adresser aux tribunaux, mais ils ne peuvent demander son annulation total. Seul le tribunal est compétant », a déclaré à Anadolu, le président de la Commission électorale nationale indépendante, Mahmood Yakubu.

De nombreux observateurs étrangers ont aussi sévèrement critiqué « le manque de transparence » et « des défaillances opérationnelles lors des scrutins« .
« La confiance dans l’INEC a encore diminué » à cause des retards dans la publication des résultats sur son site, a notamment souligné, mardi, lors d’un point de presse, la délégation de l’Union européenne.

« Les élections au Nigeria sont inférieures aux attentes, l’INEC manquait de transparence », a souligné dans un tweet, lundi, la députée française Virginie Joron, observatrice de l’Union européenne au Nigeria.

Lundi 27 février, la mission conjointe, National Democratic Institute et International Republican Institute, dirigée par l’ancienne présidente malawite, Joyce Banda, a eu des propos critiques à l’égard de la Commission électorale lors d’un point de presse à Abuja. « Retards quasi systématiques de l’ouverture des bureaux de vote, manque de formation des agents électoraux, attente trop longue pour les résultats officiels« …

Pour Joyce Banda, l’INEC aurait pu et aurait dû faire mieux. …
Malgré les insuffisances constatées, les observateurs ont noté que ces élections étaient les plus disputées depuis l’instauration de la démocratie en 1999.

« C’est la première fois que des nouvelles technologies sont utilisées à l’échelle nationale. L’identification des électeurs par reconnaissance faciale et digitale devait limiter les fraudes qui ont entaché les scrutins précédents, tout comme le transfert électronique des résultats », a expliqué à Anadolu le politologue camerounais Christopher Fonmuyuy, directeur de l’Institut national de la démocratie.

– Des violences « avant, pendant et après le scrutin »

Les élections au Nigeria ont toujours été marquées par des violences. L’élection de 2019 a été entachée par des actes de violence commis par les forces de sécurité et l’armée, ainsi que par des casseurs agissant au nom de certains politiciens.
Lors de la campagne de février dernier, plusieurs politiciens ont été agressés, tués et même brulés vifs notamment à Kaduna.

Il y a également eu des menaces à la sécurité de la part de plusieurs groupes à travers le pays, y compris des gangs violents dans le nord-ouest, et des groupes dans le sud-est du Nigeria qui ont tenté de saper les élections.

« A chaque élection, des personnes meurent des violences avant, pendant et après le scrutin surtout dans l’État de Rivers. A 15 jours du scrutin, nous avons connu plusieurs cas d’agressions contre des hommes politiques et nous avons enregistré plusieurs décès. Des partisans de l’APC (Congrès des progressistes) et du PDP (le Parti démocratique populaire) se sont affrontés le 17 février à Rivers State et il y a eu des morts et des blessés », a expliqué à Anadolu, Maître Henry Ekinne, défenseur des droits de l’homme de l’Etat de Rivers.

« Les autorités devraient rapidement rétablir la confiance des citoyens dans leur capacité à exiger des comptes des personnes responsables de violences électorales, et à assurer la sûreté et la sécurité de tous les Nigérians », a recommandé le 6 février, l’ONG Human Rights Watch.

– D’énormes défis à relever par le successeur de Buhari

Revenant sur les élections générales de samedi dernier (présidentielle, législatives, sénatoriales), l’Américain Mark Green, président du think tank Wilson Center, a souligné lundi sur son compte officiel Twitter que « les pénuries de monnaie et de carburant ont représenté un fardeau excessif pour les électeurs et les agents électoraux. Ces problèmes logistiques étaient prévisibles et évitables. La confiance des électeurs dans le processus a été mise à mal par le manque de transparence de la commission » électorale.

Le défi premier du président sera donc de redresser l’économie du pays. En plus de la sécurité, « Bola Ahmed Tinubu en a fait une de ses priorités », a indiqué à Anadolu, Olayinka Oyegbile, journaliste politique et enseignant à Trinity University de Lagos au Nigeria.

Avec quelque 133 millions de Nigérians vivant dans la pauvreté, dans un contexte d’escalade de la dette nationale et d’aggravation de l’insécurité selon la Banque mondiale, la population nigériane espère beaucoup de son nouveau leader symbole du triomphe de l’ancien style de politique au Nigeria.

En octobre 2020, un sentiment anti-gouvernemental a explosé en protestations nationales contre les brutalités policières.

Surnommé le « parrain » ou encore « le faiseur de roi », Bola Tinubu a été acclamé par ses partisans peu après sa victoire, qui ont félicité leur « Jagaban » (« chef »), a rapporté la presse locale.

« J’appelle mes concurrents à faire équipe ensemble. C’est la seule nation que nous ayons. C’est un pays que nous devons construire ensemble, en recoller les morceaux brisés. Nous devons travailler dans l’unité », a clamé le nouveau président à l’égard de l’opposition, en réponse aux accusations de fraudes massives formulées avant même la proclamation des résultats.

Mais qu’en est-il d’un gouvernement d’union nationale dans ce pays vaste avec une population de plus de 300 millions de personnes.

« Nous attendons voir si ce rêve d’union nationale annoncé par Tinubu deviendra une réalité. Dans l’histoire du Nigeria, le parti au pouvoir n’a jamais fait chemin avec les partis de l’opposition. Peut-être la méthode de Tinubu sera différente mais on n’y croit pas », a affirmé à Anadolu, Mamadou Nour, politologue nigérian.

Le successeur de Muhammadu Buhari hérite d’un bilan peu avantageux. Le « Nigeria est de nos jours confronté à une multitude de problèmes. Une crise sécuritaire marquée par la propagation des violences terroristes, une crise monétaire avec pénurie des billets de banque, une crise énergétique sévère, sans oublier les inégalités sociales… », nous explique Olayinka Oyegbile.

Teniola Tayo, analyste politique et économique chargée de recherche associée au sein du think thank WATHI, basé à Dakar, reste toutefois optimiste sur l’avenir de ce géant de l’économie africaine.

« Le Nigeria est une grande nation connue dans le monde entier tant pour ses richesses économiques, notamment son pétrole, que pour son apport à la culture, dans la littérature, sa musique ou encore le dynamisme de ses entrepreneurs dans les technologies. Le pays reste la première économie d’Afrique, en termes de PIB. Il est la locomotive économique de l’Afrique de l’Ouest », a-t-elle estimé.

La lutte contre l’insécurité notamment contre Boko Haram dans le nord-est et les groupes armés séparatistes dans le sud-est est un défi majeur qui attend le nouveau président nigérian.

Lorsque Muhammadu Buhari a été élu pour la première fois président du Nigeria, il y a huit ans, c’était sur la promesse qu’il contribuerait à mettre fin à l’insurrection de Boko Haram, qui a forcé des millions de personnes à quitter leur foyer dans le nord-est du pays et coûté la vie à des milliers de personnes. Buhari n’a pas tenu à sa promesse.

Tinubu qui lui succède et qui a longuement travaillé avec lui, est moins sûr de mettre fin à l’insurrection de Boko Haram. Tinubu est une continuité de Buhari. La corruption au sein de l’armée va continuer à prospérer », a affirmé à Anadolu, Annetie Ewang, chercheuse de l’ONG Human Rights Watch (HRW) pour le Nigeria.

anadolu

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