Home AFRIQUE Guinée : le légionnaire Doumbouya et les communautés

Guinée : le légionnaire Doumbouya et les communautés

0
Mamadi Doumbouya, chef d'Etat de la république de Guinée

Au départ, pour les opposants politiques qui sans succès n’avaient pu renverser par la voie des urnes le président Alpha Condé, l’arrivée du colonel Mamadi Doumbouya était une bonne affaire. L’ancien légionnaire n’était là – pensaient-ils – que pour un court intermède, puis le pays se dirigerait vers l’alternance politique, voire communautaire. Cette question a été abordée à travers le dialogue politique dans lequel toutes les communautés ethniques du pays étaient représentées. Mais le compte n’était pas bon !

Issu de la communauté Malinké, à laquelle il appartient par l’une de ses castes, depuis son accès au pouvoir, l’ancien légionnaire s’entoure pour l’instant de quelques cadres opportunistes originaires de la Haute-Guinée, parmi lesquels d’anciens ministres et quelques griots de l’Union mandingue. Les Malinkés, attachés au sens de l’honneur et de la fidélité, n’ont dans l’ensemble pas pardonné « l’offense faite » au président Alpha Condé.

Lors de son renversement, les militaires du colonel Mamadi Doumbouya ont traversé les quartiers favorables à l’opposition, en exhibant le président déchu comme un trophée de guerre. Cette attitude du chef de la junte est toujours considérée, dans la communauté malinké, comme une traîtrise. D’ailleurs, les Mandingues ne goûtent guère au déshonneur. Cela remonte au temps du Manding médiéval. Qui ne se souvient pas de l’humiliation subie par Sogolon, la mère du futur empereur Soundjata Keita, du fait de sa laideur et de l’infirmité de son fils. Ce dernier, prit le chemin de l’exil pour revenir par la suite récupérer son trône.

Pour illustrer ce divorce de la communauté malinké avec le pouvoir, on se réfère à l’arrestation, en 1998, du Professeur Alpha Condé par le régime de Lansana Conté, un événement qui n’a pas entaché son image. Au contraire, cette arrestation a même eu une incidence positive sur sa popularité en Haute-Guinée. En plus de cette considération, la communauté Malinké estime que c’est le président Alpha Condé qui a « fabriqué » le colonel Mamadi Doumbouya, inconnu en Guinée. A Kankan, sa ville natale, on se souvient à peine de l’ancien délinquant, laveur de voitures au quartier Cosmos, venu vendre des pneus à Conakry.

C’est à l’occasion des 60 ans de l’anniversaire de l’indépendance du pays que les Guinéens l’ont découvert à la tête des forces spéciales, créées par le président Alpha Condé. Mamadi Doumbouya était auparavant en service sous le drapeau français, et c’est par la faveur du « Professeur », qu’il a obtenu son avancement en grade. Comme les moyens financiers dont il jouissait en tant que commandant des forces spéciales. Car rentré en Guinée avec le grade de caporal-chef de l’armée française, il est devenu colonel grâce au président Alpha Condé.

Les Soussou, eux, sont sevrés de leader depuis la mort du général Lansana Conté et cherchent désespérément à trouver un remplaçant charismatique. Cette communauté n’a pas affiché sa prise de position pour soutenir la junte, mais trois jours après, elle a douté de la sincérité des putschistes suite à l’arrestation du commandant Alia Camara. Ce dernier est pourtant considéré comme le chef des opérations qui ont permis le coup d’Etat du 5 septembre 2021. Jeté en prison sous prétexte qu’il aurait « vidé » le coffre-fort de Sekhoutoureah, le commandant Alia Camara, chef des opérations du Groupement des forces spéciales, n’a plus donné de ses nouvelles depuis son arrestation musclée survenue dans la nuit du 7 au 8 juin 2022, à Gueckedou, dans le sud du pays, où il avait été muté après sa sortie « négociée » de la Maison d’arrêt de Conakry.

Et aucune communication n’a été faite sur sa situation, ni par le chef d’état-major général des armées, principal ordonnateur de son enlèvement, ni par la justice militaire. Le sujet serait devenu tabou. Il a fallu un petit coup de gueule des chroniqueurs d’une émission de talk-show très suivie dans le pays, le vendredi 16 septembre dernier, pour recevoir les premières informations sur celui qui était même donné pour mort, car n’ayant donné aucun signe de vie, même à sa famille, plus de trois mois après son enlèvement. Aux dernières nouvelles, selon des sources sécuritaires proches de la présidence de la République, le principal cerveau du coup d’Etat du 5 septembre 2021 serait séquestré dans une pièce du palais Mohammed V, sous l’œil vigilant du « Parrain », le colonel Mamadi Doumbouya, qui le retient comme son prisonnier personnel. D’où le désintérêt de toute la chaîne judiciaire.

A l’instar d’Aly, comme on l’appelle affectueusement, plusieurs autres officiers originaires de la Basse-Guinée ont été arrêtés et jetés en prison, notamment à Soronkoni, une base des Bérets rouges sur la route de Kankan, devenu le nouveau « camp Boiro » du régime de transition. Parmi eux, d’anciens gardes de feu le président Lansana Conté. Certains éléments de cette communauté pensaient même que le coup d’Etat de Mamadi Doumbouya pouvait être une stratégie de maintien du pouvoir en Haute-Guinée. Mais depuis l’arrestation de l’ancien Premier ministre Ibrahima Kassory Fofana par la Cour de répression des infractions économiques et financières (Crief), la Basse-Guinée s’est encore éloignée un peu plus du Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD).

Même l’arrestation de l’ancien président de l’Assemblée nationale est considérée par les Soussou comme une stratégie pour faire savoir que ce ne sont pas uniquement des cadres Soussou qui sont visés par la Crief. Profitant d’une cérémonie de baptême du commandant Alia Camara, Elhadj Sékhouna Soumah, connu pour sa démagogie, a fait comprendre au pouvoir de Conakry, la nécessité de juger les détenus. Et plus loin, il a indiqué que le commandant détenu, natif de la Basse Guinée, n’a pas eu l’occasion d’assister au baptême de son enfant.

La question qu’on se pose est de savoir s’il est intervenu dans ce sens parce qu’il a remarqué le divorce entre les Soussou et la junte. Une chose reste claire. Quand cette communauté éprouve des difficultés pour assurer son quotidien, elle ne manque pas de faire connaître sa désapprobation. Sous le régime déchu, elle bénéficiait des avantages de l’Agence nationale d’inclusion économique et sociale (Anies) et de l’Agence nationale de financement des collectivités locales (Anafic). Aujourd’hui, elle constate dans la haute sphère de l’Administration l’absence de cadres Soussou. Mais l’une des composantes de la population qui a applaudi le coup d’Etat du 5 septembre 2021, c’est bien la communauté peule, restée longtemps en majorité dans l’opposition radicale contre la gouvernance du régime Alpha Condé. Cela s’est traduit, dès le premier jour du putsch, par le soutien manifeste de Cellou Dalein Diallo, leader de cette communauté et de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG). Le tour d’honneur du président destitué entouré des militaires dans le véhicule d’assaut sur l’axe Cosa-Bambéto, fief de l’opposition en est un parfait exemple.

Dans le but d’obtenir une popularité auprès de cette communauté, la junte n’a pas mis longtemps non plus pour restituer à l’opérateur économique Ousmane Baldé « sans loi » – un proche de l’UFDG – la maison de commerce à Kindia, un domaine de l’Etat revenu dans le portefeuille du patrimoine bâti public, au temps du régime déchu. Mais ce mariage entre le CNRD et la communauté peule n’a pas duré, notamment quand la Crief a commencé a épluché les dossiers des délits économiques, parmi lesquels se trouvait celui d’Air-Express, avec comme accusé principal Cellou Dalein Diallo.

La communauté peule a commencé à comprendre la machination mise en place pour éliminer le leader de l’UFDG de la future course au fauteuil présidentiel. Ce dernier a été visé par une procédure judiciaire au travers laquelle il a été convoqué à la Crief à deux reprises. Mais également dans la vaste campagne de récupération des domaines de l’Etat, il a été contraint de quitter son domicile de Dixinn, démoli pour servir à la construction d’une école publique. Ainsi traqué, Cellou Dalein Diallo a été obligé de prendre le chemin de l’exil afin d’éviter la prison.

C’est dans ce climat tendu, que la communauté peule a suivi l’instruction donnée par l’Alliance nationale pour l’alternance et la démocratie (Anad) – une alliance de l’UFDG appuyée par le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC) –, de manifester son divorce avec le CNRD. Ce qui s’est soldé par des pertes en vie humaine. Quant à la communauté forestière, elle est longtemps restée silencieuse face à la prise du pouvoir du CNRD. A part quelques-uns de ses membres qui affichent leurs soutiens aux putschistes, comme Faya Millimono, du Bloc libéral (BL), de Keamou Bogola Haba, coordinateur du Front pour la défense de la transition (FNDT), et de Pépé Koulemou, de l’Alliance pour le renouveau national (ARN).

Mais elle pourrait ne pas tarder à réagir avec l’ouverture du procès du massacre du Stade de 28 Septembre 2009 – prévue à la date du 28 septembre 2022. Procès dans lequel, le capitaine Moussa Dadis Camara, « le prince » de Koulé, reste le principal accusé. Aujourd’hui en Guinée, même les forces religieuses ont maille à partir avec le colonel Mamadi Doumbouya. Le dernier événement en date est la radiation et l’interdiction de prêcher au nom de l’islam, sur toute étendue du territoire national, de l’imam Elhadj Yaya Camara, de Sonfonia-gare.

Une décision prise par le secrétariat aux Affaires religieuses. Les torts de l’imam : avoir dénoncé la gestion à sens unique de la transition par le CNRD, axant son sermon de la grande prière du vendredi sur la cherté actuelle de la vie en Guinée et la détention des Guinéens en prison sans jugement. A Conakry, une junte militaire gère le pouvoir d’exception sans assise sociale, toujours campée dans son quartier général du palais Mohammed V. La question que l’on se pose aujourd’hui est, en cas de soulèvement, qui sera présent pour défendre un pouvoir géré par une unité d’élite de l’armée guinéenne ?

Elise K Doun

LEAVE A REPLY

Please enter your comment!
Please enter your name here