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Côte d’Ivoire : les grandes crises de la Diplomatie Ivoirienne sous la 1ère République

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les chercheurs Alain Kouamé et Jean-Philippe

De la première république à nos jours, la diplomatie ivoirienne s’est toujours nourri de crises, les unes aussi palpitantes que les autres. Dans une réflexion synchronisée que nous vous restituons ici, deux chercheurs ivoiriens, l’un à Paris et l’autre à Abidjan, ont croisé leurs regards sur ce pan de l’appareil d’Etat, pour tenter de trouver une explication.

1) Côte d’Ivoire-Ghana dans l’affaire « République du Sanwi » 1959 !

Le Ghana de N’krumah et la Côte d’Ivoire de Houphouët ont des visions idéologiques différentes d’une Afrique postindépendance. Les relations seront tendues entre les deux pays de 1960 à 1966. Au cœur des tensions, outre les questions panafricanistes, se trouve l’affaire de la République du Sanwi, proclamée le 3 Mai 1959 et dont les Suteurs ont trouvé refuge au Ghana avec la protection du Gouvernement ghanéen.

En effet, dès 1960, le régime N’krumah adopte une attitude favorable à l’irrédentisme du Sud-Est de la Côte d’Ivoire. Un an auparavant, de violents incidents éclatent dans cette région du Sanwi, frontalière du Ghana. Il s’agissait pour les dirigeants du mouvement dénommé Mouvement de Libération du Sanwi, d’obtenir de la France, que l’indépendance leur soit accordée, en vertu du traité de protectorat du 4 Juillet 1843, signé avec l’autorité coloniale qui accordait

L’autonomie au Royaume du Sanwi.

Contraints à l’exil, les chefs Sanwi trouvent refuge à Accra, où ils constituent un gouvernement provisoire en exil dont l’objectif était d’obtenir le rattachement du Sanwi au Ghana. Dès cet instant, les relations ivoiro-ghanéennes se détériorent à telle enseigne que l’ambassadeur ghanéen est rappelé à la suite d’une demande ivoirienne.

Toutefois, les rapports entre les deux pays se normaliseront le 14 Mai 1966, suite à un accord relatif à la réouverture de la frontière entre les deux Etats à Takikro.

Dans l’élan de la consolidation des rapports de bon voisinage, le Dr Kofi Busia , Chef de l’Etat ghanéen, effectuera une visite officielle en Côte d’Ivoire du 29 Avril au 9 Mai 1970. Lors de cette visite, les deux pays frères s’engageront à développer la coopération dans les secteurs du transport, de la communication, et du commerce. Dans la même veine, un traité d’amitié et de coopération sera signé le 8 Mai 1970 à Abidjan. Le ministre des affaires étrangères de Côte d’Ivoire, Arsène Usher Assouan se rendra en visite au Ghana du 25 Mai au 2 Juin 1976.

2) Côte d’Ivoire-Nigeria dans la guerre du Biaffra (1967-1970)

La guerre du Biafra est la guerre civile à caractère sécessionniste qu’a connue le Nigéria de 1967 à 1970. Elle fut l’une des plus meurtrières d’Afrique. Elle tire ses origines de l’antagonisme persistant entre les grands groupes ethniques (250) avec 3 ethnies majoritaires : les Haoussa au Nord de confession musulmane, les Yoroubas au Sud-Ouest de confession diversifiée, les Ibo au Sud-Est christianisés, qui composent le Nigéria après l’influence de l’héritage coloniale britannique.

Les conflits communautaires répétés suivis de coups de force militaires, déboucheront sur l’annonce de l’indépendance de la République du Biafra, le 30 mai 1967, par le lieutenant-colonel Ojukwu,.

Pour le gouvernement militaire fédéral dirigé par le Lieutenant-colonel Yakubu Gowon, il faut absolument sauvegarder l’intégrité territoriale la Fédération du Nigéria.

Après la Tanzanie, la Côte d’Ivoire sera le 2ème pays à reconnaitre la République du Biafra, le 14 mai 1968 avant le Gabon et la Zambie. Dans son discours tenue à l’ambassade de Côte d’Ivoire en suisse le 9 mai 1968, le Président Houphouët signifiera : « qu’il fallait ramener le problème entre la fédération du Nigéria et la République du Biafra à son seul et vrai aspect : l’aspect humanitaire et lui trouver une solution humaine. » Le 13 avril 1968, la Côte d’Ivoire rompait par cet acte, ses relations diplomatiques avec la fédération du Nigéria et prenait dans ce conflit officiellement position pour le Biafra. Ainsi, la guerre Biafraise connaitra une implication internationale.

D’un côté, la France du Général de Gaulle à la demande de la Côte d’Ivoire, portera son soutien au Biaffra, quand la Grande Bretagne manifestera son attachement à la Fédération du Nigéria.

Au demeurant, l’on pourra noter les actions menées par l’Etat ivoirien pour le règlement du conflit. A savoir, la sollicitation par le Ministre Usher Assouan de l’intervention de l’ONU pour décréter l’arrêt des combats et l’embargo sur les livraisons d’armes aux belligérants ; l’apport d’une assistance médico-sociale aux enfants biafrais ; l’accueil de 963 enfants à Abidjan, et environ 1500 à Bouaké. De nombreux étudiants biafrais bénéficieront de bourses d’études du gouvernement ivoirien…

3) Côte d’Ivoire-Afrique du Sud « dans l’affaire Apartheid, 1960 »

En Afrique du Sud, Nelson Mandela et les leaders de « l’African National Congress » sont arrêtés des suites d’une manifestation anti raciale réprimée ayant entrainée 69 tués et 179 blessés. C’est les évènements de Sharpeville ! Le Gouvernement Sud-Africain d’alors est vivement critiqué par de nombreux Etats Africains, qui pour certains envisagent une option militaire pour libérer les Sud-Africains noirs de la ségrégation raciale. Ce sont la Guinée, l’Algérie, le Nigéria, et le Zimbabwe. Le Président HOUPHOUËT, lui, préconise la voix du dialogue quand il est saisi de l’ouverture du Premier Ministre Sud-Africain à en faire autant.

Par cette démarcation, la Côte d’Ivoire en initiant la politique des pourparlers avec Pretoria, prend ses distances avec la position de l’OUA et s’attire l’hostilité et l’indignation de la majorité des pays membres de l’organisation panafricaine.

En fait, les chefs d’Etats hostiles au dialogue avec Pretoria ne pouvaient admettre que l’un des leurs, et non un des moindres, puisse prendre une telle décision d’ouvrir le dialogue avec un régime raciste qui niait la qualité d’être humain à des populations noires. Des vagues de résolutions et de condamnations n’avaient depuis lors cessé d’être votée contre elle. C’est dans cette optique de guerre probable que fut adopté le Manifeste de Lusaka en 1969. A partir de cette période, la Côte d’Ivoire adopte une nouvelle politique.

En clair, la position de la Côte d’ivoire à propos de la politique d’apartheid pratiquée par l’Afrique du Sud a varié avant et après le manifeste de Lusaka.

Avant la déclaration de Lusaka, la Côte d’Ivoire soutenait toutes les initiatives de l’OUA ou de l’ONU. Elle est allée jusqu’à soutenir la résolution 2383 de la 23ème session ordinaire qui préconisait l’utilisation de la force contre le gouvernement du pouvoir minoritaire blanc de Lan Smith en Rhodésie du Sud (actuel Zimbabwe). En adoptant cette position, la Côte d’Ivoire réaffirmait son slogan de faire en sorte que toute forme de discrimination raciale et de colonialisme disparaisse en Afrique.

Quant à l’option du dialogue avec l’Afrique du Sud, elle a commencé à poindre dès 1970 (13 Novembre) à l’ouverture de la 1905ème séance de la 25ème session ordinaire de l’Assemblée générale des Nations Unies. Le porte-parole de la délégation ivoirienne fit une suggestion qui rejetait toute solution militaire vis-à-vis du cas Sud-Africain. Il préconisa une solution fondée sur le dialogue et la persuasion, estimant que depuis 23 ans, les Nations Unies avaient adopté 109 résolutions qui étaient toutes demeurées inefficaces.

A propos, M. Arsène Usher Assouan, Ministre des Affaires Etrangères de Côte d’Ivoire, avancera que les résolutions de condamnations soulevés de l’OUA « non seulement n’impressionnent et n’influencent personne, mais constituent un obstacle sur la voie de la persuasion. ». Pour lui, il était du devoir de la Côte d’Ivoire de ne pas se laisser entrainer dans un conformisme étouffant mais plutôt d’amener à revenir à la pratique de la diplomatie traditionnelle des contacts.

Ainsi, le 28 Avril 1971, devant 126 journalistes venus du monde entier, le Président HOUPHOUËT donnera la position de la Côte d’Ivoire sur l’Afrique du Sud qui consiste à préserver le continent d’un drame que pouvait provoquer une guerre entre les blancs d’Afrique du sud et des troupes des Etats noirs coalisés.

Pailleurs, l’apartheid était selon lui, un problème intérieur à la République Sud-Africaine dont la disparition ne pouvait être assurée par la force. Cette déclaration assez originale donna lieu à des réactions d’hostilité de la part de nombreux dirigeants. Le sommet des chefs d’Etat de l’OUA du 22 juin 1971 rejettera la proposition HOUPHOUËT et condamnera son principe, estimant que les conditions du dialogue n’étaient pas réunies.

Ne se sentant nullement engagé par la résolution de l’OUA, HOUPHOUËT poursuivra sa politique. A ce titre, il mènera plusieurs actions afin de répondre favorablement à l’ouverture que le Premier Ministre Sud-Africain John .B Vorster a lancée. Au nombre de ces actions, HOUPHOUËT acceptera d’ouvrir le dialogue en envoyant une mission privée conduite par le ministre Blaise N’dia Koffi en Afrique du Sud et de recevoir par la suite, le Premier Ministre Sud-Africain en septembre 1974 à Yamoussoukro, en présence du Président Senghor (Sénégal).

Le 10 septembre 1975, une autre délégation conduite par Laurent Dona Fologo, Ministre de l’information accompagné de son épouse française se rendra en Afrique du Sud. A cette occasion, l’émissaire ivoirien rencontrera les autorités Sud-Africaines et les différentes couches de la société Sud-Africaine, afin de montrer que noirs et blancs pouvaient vivre ensemble puisque sa femme était française et blanche. Cette image était censée marquer les esprits des différents interlocuteurs avec lesquels il devait échanger et opérer un possible changement de comportement.

En somme, l’histoire retiendra que la visite du ministre Fologo et de son épouse, les contacts au sommet entre les chefs d’Etats ivoiriens et Sud-Africains, permirent d’amorcer le dialogue entre les communautés blanches et noires du pays arc-en-ciel. Cependant, la montée de la résistance noire des années 1980, les pressions internationales et l’esprit d’ouverture de Frederik de Klerk, favorisèrent le début du démantèlement de l’apartheid dont l’abolition intervient finalement le 25 Juin 1991.

4) Côte d’Ivoire-Guinée dans l’affaire « Kamano » 1965 !

Francois Kamano Kata était « la seule personnalité au domicile de laquelle, le Président HOUPHOUËT, en route pour le palais, pouvait arrêter son cortège pour quelques moments d’échanges en tête-à-tête.» Premier Directeur Général de la Caisse Ivoirienne de la Compensation et de Prestations Familiales (actuelles CNPS), Premier Maire de la Commune de San Pedro (1980-1985), Président de l’ASEC Mimosas (Sport), seule africain noir de l’époque à célébrer son mariage au palais Bourbon (Assemblée Nationale française), François Kamano était à la fois un ami, un conseiller, un confident pour le Président HOUPHOUËT.

En 1965, François Kamano décide de rendre visite à sa belle-famille au pays de Ahmed Sékou Touré, ex-Président de la Guinée qui est idéologiquement et politiquement opposé au Président Ivoirien Félix HOUPHOUET BOIGNY.

François Kamano sera arrêté et emprisonné 2 ans durant . Il lui est reproché d’être l’agent de connexion entre le pouvoir ivoirien et l’opposition guinéenne. Une médiation est menée par le Mali, le Sénégal et la Mauritanie sans succès. Situation aggravante, un chalutier ivoirien (ker-Isper) arraisonné dans les eaux guinéennes, sera saisi, et son équipage (22 personnes) arrêté. Le pouvoir guinéen accuse la mission maritime ivoirienne d’une tentative d’enlèvement du Président Ghanéen Kwame Nkrumah, à l’époque résidant à Conakry. Abidjan affirme que le bateau était plutôt en détresse. La Côte d’Ivoire continuera de réclamer la libération de ses 23 ressortissants. L’affaire est portée devant l’Union Africaine et les Nations Unies sans gain de cause.

Les négociations n’aboutissant pas, les autorités ivoiriennes procèderont à une action d’éclat pour trouver une solution au différend ivoiro-guinéen. En effet, le 26 Juin 1967, le Ministre Guinéen des affaires étrangères (Lassana Béavogui ET Marof Achkar, Ambassadeur guinéen auprès de l’ONU, sont arrêtés à Abidjan, lorsque leur avion de compagnie hollandaise (KLM) fait une escale forcée.

Mathieu Ekra, Ministre ivoirien de l’information affirmera que cette mesure est une réponse à la « détention inhumaine » en Guinée de Francois Kamano et de l’équipage du chalutier (Ker-Isper). Le Président Sékou Touré proteste immédiatement contre la détention des personnalités guinéennes et incombe la responsabilité politique de l’affaire aux Nations Unies (puisqu’ils revenaient d’une réunion onusienne) et la responsabilité civile au Pays-Bas (en raison de la nationalité de la compagnie aérienne). Les diplomates hollandais et le personnel local de klm sont placés en résidence surveillé à Conakry. Le Président Touré exigera la libération de ses concitoyens. Arsène Usher Assouan, Ministre ivoirien des affaires étrangères, répondra que «Abidjan considère la détention de Béavogui et d’Achkar Marof, comme le seul moyen de libérer les ivoiriens détenus par le pouvoir guinéen. »

En effet, la libération de la délégation guinéenne fut conditionnée non seulement par celle du chalutier ivoirien arraisonné par la Guinée et de son équipage mais, aussi et surtout par celle de l’ivoirien François Kata Kamano maintenu en Guinée depuis deux ans. Les autorités ivoiriennes restèrent inflexible malgré les protestations du Président Sékou Touré, l’intervention des chefs d’Etats de l’OUA à Kinshassa et surtout celle du Secrétaire Général des Nations Unies. Toutefois, le dialogue se poursuivant, une confrontation des délégués des deux pays aboutit à l’adoption d’une résolution qui condamnait sans détour, la violation des accords sur le respect des privilèges et immunités diplomatiques.

Grace à la médiation du président libérien William Tubman, Amani Diori du Niger, Modibo Kéita du Mali et du représentant du secrétaire général des Nations Unies (M.U.Thant), le chalutier ivoirien et son équipage quittera Conakry (Guinée) , le 22 Septembre pour Abidjan.

Le 25 Septembre 1967, François Kamano Kata quittera Conakry par un vol régulier d’Air Guinée à destination de Dakar, d’où il regagna la Côte d’Ivoire, le 26 Septembre 1967. La délégation guinéenne quant à elle, rejoignit Conakry le 26 Septembre 1967.

5) Côte d’Ivoire et le conflit Israélo-Arabe 1947/1967/1973

Le conflit Israélo-arabe ou palestinien est né du plan de partage de la Palestine britannique par les Nations Unies à travers la résolution du 29 Novembre 1947 du Conseil de Sécurité, créant un Etat juif et un Etat palestinien… pour HOUPHOUËT, les grandes puissances ont failli dans le règlement de cette crise qui subsiste car : « c’est dès le départ que les puissances auraient dû imposer, à la fois aux israéliens et aux arabes, le respect de l’intangibilité des frontières de la Palestine telles qu’elles ont été définies dans le plan de partage. (Conférence de presse du 14 octobre 1985)« .

(…) Après la guerre de six jours de 1967, neuf pays africains membres de l’OUA et de la ligue arabe font adopter par solidarité avec l’Egypte, des résolutions anti israéliennes. En 1973, la plupart rompirent leurs relations diplomatiques avec l’Etat hébreu, se conformant ainsi à une résolution de l’OUA qui exigeait un geste  de solidarité avec l’Egypte dans sa lutte contre Israël.

Sur conseil des chefs d’Etats algériens Boumediene et tunisiens Bourguiba, la Côte d’ivoire, membre de l’OUA, va à son tour rompre ses relations diplomatiques avec Israël, le 8 novembre 1973.

Vu l’évolution de la situation marquée par un dégel entre l’Egypte et l’Etat hébreu, après la signature des accords de paix du camp David en 1979, la Côte d’Ivoire décide de rétablir ses relations rompues avec Israël, conformément aux décisions du 8ème congrès du PDCI (octobre 1985). le 12 Février 1986, un communiqué officiel du gouvernement ivoirien annonce officiellement que : « la République de Côte d’ivoire et le gouvernement de l’Etat d’Israël, désireux de développer des relations d’amitié et de coopération entre leurs peuples, ont décidé de rétablir les relations diplomatiques entre leurs deux pays et de procéder dans un meilleur délai, à un échange d’ambassadeurs« .

Au conseil des ministres du 7 mai 1986, le gouvernement Ivoirien donne son agrément à la nomination de Shimon Agour, en qualité d’Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire d’Israël à Abidjan. Le 24 juin 1986, la Côte d’Ivoire nomme Jean Pierre Boni, ambassadeur près de l’Etat d’Israël. Pour matérialiser la reprise, le Premier ministre israélien Yitzhak Shamir sera en visite à Yamoussoukro, le 19 juin 1987. Depuis cette date, les relations entre la Côte d’Ivoire et l’Etat juif sont restés fructueuses et cordiales.

JEAN PHILIPPE LOHOURY TRE : Doctorant en Relations Internationales et Diplomatie – Paris

et

KOUADIO KOUAME ALAIN-SERGE : Doctorant en géographie-consultant en développement-chroniqueur (Abidjan)

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