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Guinée : Alpha Condé, dans les traces de Lula

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Mamady Doumbouya, président de la junte militaire de Guinée

A la tête d’un putsch qui l’a érigé aux fonctions de chef d’Etat depuis le 5 septembre 2021, le dirigeant militaire Mamady Doumbouya semble ne plus faire l’unanimité de la plupart de ses compatriotes qui avaient salué le renversement de l’ancien régime. C’est le cas de l’analyste politique Jean Michel Clément qui, dans une diatribe peu ordinaire, dresse un tableau peu reluisant de la gouvernance peu experte de la junte militaire guinéenne. Nous vous en restituons ici l’intégralité.

« L’histoire de l’origine de l’Etat selon Akira Kurozawa, célèbre réalisateur japonais du film Les Sept Samouraïs, est encore d’actualité aujourd’hui en Afrique.
Des gangs d’homme armés s’y emparent du pouvoir, en s’appropriant le trésor national, prenant le contrôle des mécanismes permettant d’imposer leur bon vouloir, se débarrassant de leurs rivaux, tout en proclamant l’an un d’une ère nouvelle. Bien que ces gangs militaires d’Afrique ne soient souvent guère plus nombreux ou plus puissants que les gangs de criminels d’Asie ou d’Europe de l’Est, les media, des pays occidentaux et d’ailleurs, couvrent leurs activités avec respect dans leurs rubriques de politique internationale, plutôt que dans les colonnes traitant d’affaires criminelles. »

Ces propos tirés du Journal d’une année noire », du prix Nobel de littérature australien d’origine sud-africaine J. M. Coetzee, illustrent parfaitement ce qui s’est déroulé en Guinée depuis le coup d’Etat du 5 septembre 2021 ayant renversé la présidence du Professeur Alpha Condé. Des militaires putschistes tiennent le pays, et leur leader, le colonel Mamadi Doumbouya, à la tête d’un Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD), tente de jouer à l’apprenti homme d’Etat.

Et comme bien d’autres avant lui, il se verrait bien endosser l’habit de président dans la durée.

Toutefois, l’Histoire n’est pas écrite d’avance et l’avenir d’un président qui abandonne le pouvoir peut prendre différentes trajectoires. Avant Alpha Condé – qui n’a toujours pas démissionné officiellement de son poste de président –, en Afrique ou ailleurs, d’autres chefs d’Etat ont pu retrouver la charge suprême après avoir quitté le pouvoir, avoir été déposé par un coup d’Etat ou été battu dans les urnes.

La fin de la transition guinéenne – portée à vingt-quatre mois – pourrait donc apporter quelques surprises. Car plus d’un an après son renversement, la junte guinéenne n’arrive pas à faire oublier le professeur Alpha Condé auprès de la population guinéenne. La plupart des principaux chefs de l’opposition sont en exil, s’ils ne sont pas emprisonnés ou réduits au silence. Une justice caricaturalement aux ordres, répond aux injonctions du légionnaire président. Des citoyens sont expulsés manu militari des logements administratifs qu’ils occupaient depuis un demi-siècle. Les medias critiques sont pourchassés par des forces de sécurité. Les hommes en uniforme font la pluie et le beau temps dans la cité.

Les caisses de l’Etat guinéen n’ont jamais été à ce point vampirisées, faute de contrôle de la dépense publique par un parlement élu.

Dans ce contexte, la nostalgie Condé revient de plus en plus dans le cœur des Guinéens. Comme au Brésil. Il y a encore quelques mois, quelle chance donnait-on de voir l’ancien président Luiz Inacio « Lula » da Silva participer à nouveau activement à la vie politique de son pays. Pourtant, à l’issue d’un duel ultra-politisé et médiatisé, le 30 octobre 2022, il a remporté, au second tour, l’élection présidentielle brésilienne, face à son adversaire d’extrême droite, Jair Bolsonaro. Une victoire retentissante pour un homme de 77 ans ayant connu les poursuites judiciaires et les affres de la prison – d’avril 2018 à novembre 2019 – avant d’être blanchi.

Il faut dire que beaucoup avaient estimé que l’ancien ouvrier métallo, syndicaliste et l’un des fondateurs du Parti des travailleurs (PT), était un homme politique du passé.

Président du Brésil du 1er janvier 2003 au 1er janvier 2011, il avait été rattrapé par les affaires afin d’être « écarté », selon lui, par ses adversaires pour le scrutin présidentiel de 2018.

En fait, dès 2011, Luiz Inacio « Lula » da Silva était poursuivi pour corruption, blanchiment d’argent, détournement de fonds publics et entrave à l’exercice de la justice. Le 7 avril 2018, il avait même été conduit nuitamment en prison comme un simple criminel. Mais l’homme ne voulait pas s’avouer battu. « Les puissants peuvent tuer une, deux, trois roses, mais ils ne pourront pas empêcher la venue du printemps », clamait-il, derrière les barreaux de sa prison.

Aussi, pas à pas, il a remonté la pente. Le 8 novembre 2019, il a obtenu une décision du Tribunal suprême fédéral (STF) qui indiquait que l’on ne pouvait pas être emprisonné avant l’épuisement de tous les recours possibles. Et une fois sorti de prison, Luiz Inacio « Lula » da Silva a repris l’habit du militant. A ses partisans, il a prédit la fin du « projet de haine » imposé au pays par le président Jair Bolsonaro.

Le 8 mars 2021, toutes ses condamnations ont été annulées par un juge de la Cour Suprême du brésil. Puis, à la tête d’une large coalition allant de la gauche à la droite, Tous ensemble pour le Brésil, il s’est lancé dans une nouvelle campagne présidentielle, la sixième de sa longue vie politique, et est allé chercher les voix une à une. On connaît désormais le résultat.

Dès lors, Luiz Inacio « Lula » da Silva, phénix de la vie politique brésilienne, peut-il apparaître comme un modèle de revanche et de retour au pouvoir ? D’autres que lui ont déjà réalisé cet exercice de dépassement étonnant.

L’ancien président haïtien, Jean-Bertrand Aristide, victime d’un coup d’Etat militaire le 30 septembre 1991, a ainsi retrouvé le pouvoir, le 15 octobre 1994, après une mobilisation internationale et l’intervention militaire des Etats-Unis, sous l’administration Clinton. Il a même été réélu, en novembre 2000, pour un nouveau mandat avant de démissionner, en février 2004, sous la pression, en raison d’accusations d’enrichissement personnel et de crimes politiques.

Après une vie politique bien remplie, le Guinéen Alpha Condé a déjà tout connu.

L’ancien président de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (Feanf) a été condamné à mort par le président Ahmed Sékou Touré en 1970. Son successeur, Lansana Conté lui a volé sa victoire électorale en 1993 et l’a placé en détention deux années à la prison civile de Conakry de 1998 à 2000. A la tête du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG) et de la coalition Arc-en-ciel, il a été le premier chef d’Etat guinéen démocratiquement élu en 2010, réélu en 2015 et 2020. Après plus de dix ans de présidence, il a été renversé par un coup d’Etat militaire mené par le légionnaire Mamadi Doumbouya. Comme nombre de ses homologues africains qui ont perdu le pouvoir puis l’ont retrouvé, le Professeur Alpha Condé peut un jour prochain retrouver son fauteuil de Sékhoutoureah, s’il en a la volonté et si les Guinéens le souhaitent.

Il en a la carrure tel un phénix de la politique.

Jean Michel Clément

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